Interview: "De l'existence" de Marwane Touzani
"De l'existence" de Marwane Touzani
Première et quatrième de couverture du livre |
"La passion est ce qui fait de chacun de nous cet être spécial. Cet être
différent de cette marée. Cet être qui partage quelque chose avec une
poignée. Qui fait de nous parfois cet être étrange, étrange aux yeux
de tous ces autres qui jugent que ce que nous faisons est fade, car
différent. Ces autres qui n'ont pas les moyens de quantifier ce
moment de paix. La passion est cette petite bougie qui illumine
le fond de notre âme, doucement délicatement, mais constamment.
Une bougie qui nous tient en vie. Une petite flamme qui nous guide
vers nous-mêmes. Et le monde où nous vivons aujourd'hui nous
apprend à tout faire, sauf vivre nos passions." (De l'existence)
Après avoir lu De l'existence et publié une revue sur ma chaîne (lien:https://www.youtube.com/watch?v=WqOJwCIDZNY), j'ai voulu en savoir plus sur ce livre qui m'a marqué. L'auteur, Marwane Touzani, a bien voulu répondre à mes questions.
Dans
votre livre, on retrouve plusieurs sujets philosophiques. Pourquoi aviez-vous
choisi de les aborder à travers une histoire, et non sous forme d’un essai ou
d’un dialogue par exemple ?
Effectivement, mon livre est une petite
fenêtre qui peut mener vers le chemin de la philosophie. Je ne me considère
point philosophe, loin de là. Mais notre propre vie est une histoire que nous
écrivons chaque jour, et je voulais, à travers ces histoires, dans mon livre donner
à tout un chacun la possibilité de sentir le parfum de la philosophie à travers
des histoires qui peuvent toucher tout le monde.
Vous
rejetez la conception du bonheur actuelle et la considérez comme une invention
humaine. Comment percevez-vous le bonheur ?
C’est un sujet très délicat pour l’écrivain que
je suis. Je n’adhère point à la notion du bonheur comme dessinée dans
l’imaginaire collectif des gens. Ce sentiment d’euphorie incessant qui se réalise
à travers un amour fou, des enfants parfaits et une profession qui permet
d’avoir une belle maison et une voiture allemande ou italienne. Je pense que
nous avons abusé du terme. Il ne faut pas oublier que le terme bonheur,
étymologiquement, vient du mot : chance, cela nous mène vers la chance et
la malchance. Et je préfère cette interprétation, nous sommes soit chanceux ou
non chanceux, rien de plus. Et le bonheur pour moi passe tout simplement par la
passion, certainement par d’autres chemins, mais LE chemin reste la passion qui
nous emmène vers les abysses de notre être pour faire connaissance avec cette
personne qui fait de nous ce que nous sommes. Mais malheureusement nous avons
tellement rendu le bonheur matériel qu’il nous échappe aujourd’hui.
On retrouve un certain pessimisme dans votre
livre. Aviez-vous été influencé par des philosophes ou des auteurs ?
Je n’appellerai pas cela pessimisme, je pense
que cela se fera par abus de langage. Je qualifie ce que crée la lecture du
livre dans le lecteur d’amertume d’une réalité que nous vivons tous aujourd’hui.
Ce qui est de l’influence, certainement. Je me rappelle du plaisir que
j’éprouvais en lisant Sartre, Camus ou encore Dostoïevski.
Qui
est vraiment le personnage d’Aaron ? Il est présent dans presque tous les
chapitres et prend souvent la parole. Vous représente-t-il ? Est-il un
philosophe qui observe calmement le monde qui l’entoure et l’analyse ?
Le personnage d’Aaron est un personnage
imaginaire très particulier. Le choix du prénom Aaron n’est point le fruit du
hasard, c’est le premier prénom dans le dictionnaire des prénoms, et c’était
une façon de renvoyer au titre du livre. Et il illustre cette bipolarité que
nous vivons tous chaque jour, il représente ce paradoxe qui nourrit nos êtres.
S’il me représente ? Absolument pas, il est certainement inspiré de ma
personne, comme tous les autres personnages, mais il n’est pas Marwane. Ce qui
est de l’observation, oui. On peut dire que c’est un philosophe amateur qui se
donne à l’exercice de la contemplation pour disséquer et décortiquer les autres
qui l’entourent. Par contre Aaron reste un personnage juvénile et arrogant par
moment, il prend souvent les gens de haut et se permet de les juger en essayant
de se convaincre qu’il ne le fait pas. Et c’était la façon de dessiner cette
bipolarité qui nous range.
Pourquoi aviez-vous choisi de développer le sens
olfactif à travers le verbe « puer » en particulier ?
Nous avons souvent tendance à dire que la
littérature permet de décrire le visuel plus que toute autre chose. Je voulais
à travers le verbe « puer » toucher cette composante de l’esprit qui
se met en hibernation quand nous lisons, et c’est celle de l’odeur. L’humain
peut être choqué par une image ou une représentation, mais il peut la
supporter, sauf que quand l’odeur est forte cela devient beaucoup plus
difficile. Et c’était cela l’objectif de l’utilisation de ce verbe pour décrire
plusieurs comportements et plusieurs aspects de nos êtres. Le choix de
l’olfactif pour décrire des actions permet aussi d’émettre un jugement sans
qu’il passe par le filtre de la morale mais juste par le filtre du sens.
On
retrouve la mort dans le premier et le dernier chapitre. Votre livre
représente-t-il donc le cycle de la vie qui commence et se termine par la
mort ?
C’est exactement cela. Commencer par la mort et
terminer par la mort renvoie à notre périple dans cette vie. Et il faut savoir
que le premier et le dernier chapitre sont exactement les mêmes, sauf qu’après
le voyage dans les différents chapitres du livre, le dernier chapitre prend un
autre sens et une autre dimension. C’était aussi une façon de mettre l’accent
sur cette conception de la chose de la mort. C’est parmi, si ce n’est la seule
vérité dont nous sommes tous certains, pourtant nous faisons semblons de
pouvoir y échapper dans tous nos actes. J’ajoute à cela la particularité de
cette expérience, comme mentionné dans le livre, c’est une expérience que nous
vivons à travers l’expérimentation de la mort par les autres. Chose qui rend la
mort très particulière pour moi.
Vous vous êtes beaucoup approfondis dans vos
pensées. Cela a rendu la lecture assez difficile, mais très enrichissante. En
tant qu’auteur marocain, pensez-vous que la jeunesse marocaine sera un jour
capable de raisonner de cette manière et de s’intéresser à des questions
philosophiques ?
Je ne sais point si ma façon de raisonner est la
bonne, mais je considère que c’est une première étape vers un esprit saint dans
un monde comme le nôtre. La jeunesse d’aujourd'hui passe par une étape de notre
existence très difficile. Les principes et les socles ont changé, l’argent a
pris une autre dimension et le travail est en train de devenir obsolète avec
l’évolution de la science et de la technologie. Nous entrons dans une période
de notre existence où nous avons besoin, plus que jamais, d’une réflexion
profonde et d’une approche éthique très poussée. Et notre jeunesse
d’aujourd’hui a le devoir de se poser les bonnes questions pour pouvoir
apporter sa pierre à l’édifice. Il faut aussi que cette même jeunesse sache que
le monde des idées et de la philosophie n’est pas pour les autres, c’est un
monde pour tous.
1 Auriez-vous
des livres de chevet ou des livres favoris à conseiller ?
h
J J'avoue que je n'ai pas de livres particuliers sur mon chevet, mais les quelques livres que je pourrai conseiller sont des livres pour comprendre davantage notre monde actuel: "Why Nations fail", "La guerre des civilisations" ou encore "The moral arc".
Commentaires
Enregistrer un commentaire