"Le pain nu" et "Le temps des erreurs" de Mohamed Choukri
"Le pain nu" et "Le temps des erreurs" de Mohamed Choukri
Citation favorite (1): Un jour je suis tombé malade. La vie m'apparut étrange. La maladie rend la solitude encore plus profonde. L'homme se surprend à s'aimer encore plus quand il est envahi de solitude. Je compris que je n'étais que moi. Seul dans le miroir de mon âme. (Le pain nu/Les Editions Points; Page 29)
Citation favorite (2): Les morts n'ont pas peur, ne sont pas tristes et ne se disputent pas. Chacun à sa place. Un mort remplace un autre mort. Si le monde est ancien c'est que toute la terre n'est qu'un immense cimetière. (Le pain nu/Les Editions Points; Page 87)
Citation favorite (3): "C'est une honte pour un jeune de tendre la main. Il vaut mieux voler et laisser la mendicité pour les gosses et les vieillards." (Le pain nu/Les Editions Points; Page 84)
Cet article sera différent, car je vais vous partager mon avis sur deux livres. Ces derniers sont deux des trois tomes composant l'autobiographie de Mohamed Choukri.
Le pain nu a été une lecture très difficile pour moi, car la réalité est décrite telle qu'elle est. L'auteur parle de son enfance et adolescence avec sincérité et une certaine naïveté ou innocence. J'ai été très surprise de découvrir une personne qui garde autant de souvenirs de son enfance. Mais cela est tout à fait compréhensible. Quiconque aurait vécu comme Mohamed Choukri n'aurait jamais oublié tous les malheurs et mésaventures qu'il a connus.
Le choix du titre est excellent car il renvoie à l'enfance misérable de Choukri. L'adjectif "nu" symbolise la famine et le froid qui ont presque conduit le jeune auteur à sa mort. En effet, il était très mal habillé, il marchait pieds nus, il lui arrivait souvent de chercher de la nourriture dans les poubelles car il n'avait pas d'argent pour s'en acheter. Cet adjectif renvoie également à la nudité des différentes prostituées qui l'ont initié à l'éducation sexuelle dès un très jeune âge. Ce sont les seules femmes que Choukri fréquentera pendant plusieurs années.
Pendant ma lecture du premier livre, j'ai relevé deux thèmes majeurs que je retrouvais souvent: la mort et la nuit. Choukri semble être lié à la mort, car cette dernière introduit et conclut le roman. Au tout début de l'histoire, l'auteur perd un frère. A sa fin, il accompagnera un ami au cimetière où ce dernier va lire des versets du Coran sur les tombes des membres de la famille de certains de ses amis. De plus, Choukri est obsédé par la mort de son père qu'il hait beaucoup et qui est la cause de plusieurs de ses malheurs. Son père me rappelle beaucoup celui de Lalie, personnages présents dans L'Assommoir d'Emile Zola. Les deux hommes font souffrir leur famille, vivent dans la misère, sont de grands alcooliques, et surtout, chacun d'eux tuera un de ses enfants. Tout au long du livre, Choukri souhaite tuer son père, ou le voir mourir. Je n'ai jamais vu un enfant ressentir autant de haine envers une autre personne. J'ai été très marquée par ce petit garçon dont le corps, fragile et frêle, arrive à porter des sentiments aussi violents et profonds. L'omniprésence de la mort se retrouve également dans une figure de style. A un certain passage, l'auteur sera comparé à une personne décédée: "-Tu me rappelles beaucoup mon frère Sallam. Il avait le même âge que toit quand il a été renversé par une voiture." (Le pain nu/Les Editions Points; Page 69) Ce détail montre que l'auteur ne cherche pas à s'approcher de la mort, mais c'est elle qui le suit partout, telle une malédiction.
Le second thème est celui de la nuit. J'ai remarqué que la plupart des événements importants se déroulent le soir. Chez Choukri, la journée est ennuyeuse. Elle ne lui appartient pas, car il ne sait pas comment se comporter ou communiquer avec les personnes diurnes. Il ne connaît que les gens et les lois nocturnes. Sa vie n'a vraiment de sens que le soir, où il retrouve son quotidien constitué d'alcooliques, de prostituées et de délits: "La nuit, c'était tout ce que je possédais. C'était mon univers." (Le pain nu/Les Editions Points; Page 70)
Le thème de la violence a été souvent abordé dans cette autobiographie. Cette violence est présente partout: dans la rue, les cafés, dans la famille de Choukri et surtout dans l'esprit de ce dernier. En effet, à un moment dans l'histoire, l'auteur, souffrant énormément de l'agressivité dont il est victime, manifestera sur lui-même sa souffrance avec déchaînement: "Quand je suis vaincu par ma mère ou par les gamins du quartier, je casse les objets ou alors je me jette par terre en me donnant des coups, en pleurant et en les insultant." (Le pain nu/Les Editions Points; Pages 24-25)
Mohamed Choukri |
A travers son récit, l'auteur fait aussi découvrir la condition de la femme à l'époque. Le cas qui m'a le plus affecté est celui de la mère de Choukri. Cette dernière a vécu dans une pauvreté extrême et a souvent été battue par son mari. Vu que la famille n'a pas d'argent, le couple ne peut pas utiliser les moyens de contraception. Donc, la mère se trouve la plupart du temps enceinte et a perdu certains de ses enfants: "J'appris que durant mon absence ma mère avait eu une fille, morte en bas âge. Je remarquai que son ventre enflait de nouveau." (Le pain nu/Les Editions Points; Page 62) En observant le mode de vie de ses parents, le jeune Choukri pense que la violence fait normalement partie du quotidien d'un couple: "Moi aussi, quand je serai grand, j'aurai une femme. Le jour je la battrai. La nuit je le couvrirai de baisers et de tendresse. C'est un jeu et un passe-temps amusants entre l'homme et la femme." (Le pain nu/Les Editions Points; Page 28) Cela montre que les enfants enregistrent et emmagasinent tout ce qu'ils voient: il faut être attentif et vigilant face à un enfant, car sa manière de penser et d'agir dépend, dans la majorité des cas, du foyer dans lequel il vit ainsi que de son éducation.
La plume de l'auteur, qui est froide et hostile, reflète son enfance difficile. Plus il avance dans l'âge, plus il se durcit et perd presque tout sentiment humain: "Je n'étais plus sensible à l'affection des gens, des femmes comme des hommes." (Le pain nu/Les Editions Points; Page 63) Ce changement résulte de sa longue fréquentation des rues, où il a appris que tout peut être permis. Aucune loi ne lui fait peur ou le décourage, car pour lui, ces lois sont inexistantes.
Dans Le temps des erreurs, la condition de Choukri ne s'améliore pas tellement, mais il aura enfin la possibilité d'intégrer une école: il entre en classe primaire à 20 ans. Je découvre ensuite un autre Choukri, passionné de littérature et dont l'écriture change petit à petit pour devenir plus poétique.
J'ai remarqué qu'à chaque fois que je reprends ma lecture, je me retrouve toujours face à un paragraphe où l'auteur boit de l'alcool. La boisson occupe une place très importante dans ce deuxième tome de l'autobiographie. Rares sont les moments où Choukri boit de l'eau ou du thé. Ce qui m'a le plus surprise, c'est que l'auteur n'est pas vraiment dépendant ou addicte. A aucun moment il ne décrit une sensation de manque ou de besoin intense de boire. L'alcool l'accompagne durant ses repas et ses longues nuits. La boisson est la seule et unique compagne qui lui est restée fidèle et ne l'a jamais quitté.
Sans aucun doute, ces deux livres font partie de ceux qui m'ont le plus marquée. Il s'agit d'une lecture très différente, car je ne lis presque jamais d'autobiographies. Cette expérience a été un peu difficile, mais je ne le regrette pas car j'ai pu découvrir la vie d'un homme extraordinaire. La littérature l'a sauvé et lui a permis d'avancer malgré tous les obstacles.
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