"L'Assommoir" d'Emile Zola
"L'ASSOMMOIR" d'Emile Zola
Citation favorite (1): Or, un après-midi, il y eut une scène affreuse. Ça devait arriver, d'ailleurs. Nana s'avisa d'un petit jeu bien drôle. Elle avait volé, devant la loge, un sabot à Mme Boche. Elle l'attacha avec une ficelle, se mit à le traîner, comme une voiture. De son côté, Victor eut l'idée d'emplir le sabot de pelures de pomme. Alors, un cortège s'organisa. Nana marchait la première, tirant le sabot, Pauline et Victor s'avançaient à sa droite et à sa gauche. Puis, toute la flopée des mioches suivait en ordre, les grands d'abord, les petits ensuite, se bousculant; un bébé en jupe, haut comme une botte, portant sur l'oreille un bourrelet défoncé, venait le dernier. Et le cortège chantait quelque chose de triste, des oh! et des ah! Nana avait dit qu'on allait jouer à l'enterrement; les pelures de pomme, c'était le mort. Quand on eut fait le tour de la cour, on recommença. On trouvait ça joliment amusant.(Les Editions Le Livre de Poche; Pages 206-207)
Citation favorite (2): Le poison le travaillait rudement. Son corps imbibé d'alcool se ratatinait comme les foetus qui sont dans des bocaux, chez les pharmaciens. Quand il se mettait devant une fenêtre, on apercevait le jour au travers de ses côtes, tant il était maigre. [...] Ceux qui savaient son âge, quarante ans sonnés, avaient un petit frisson, lorsqu'il passait, courbé, vacillant, vieux comme les rues. Et le tremblement de ses mains redoublait, sa main droite surtout battait tellement la breloque que, certains jours, il devait prendre son verre dans ses deux poings, pour le porter à ses lèvres. (Les Editions Le Livre de Poche; Page 449)
J'ai été très heureuse quand j'ai découvert que ma prochaine lecture allait être L'Assommoir. J'étais tellement impatiente de retrouver Gervaise, que je sentais que je bâclais un petit peu mes lectures en cours. En effet, il s'agit d'une relecture que j'ai autant apprécié que la première fois quand j'ai découvert ce septième tome des Rougon-Macquart.
Gervaise Macquart est une blanchisseuse vivant à Paris. Tout au long du livre, nous la suivons dans son quotidien, partageons ses moments de joie ou de tristesse, mais surtout, nous découvrons le mode de vie de la classe ouvrière. En effet, les personnages de L'Assommoir sont tous des ouvriers ou prolétaires qui essaient de subvenir à leurs besoins vitaux. L'alcool est leur seule et unique échappatoire. Et la boisson est le principal thème traité dans le roman, où Zola montre comment l'alcool, qui n'est pas de très bonne qualité, affecte et détruit la santé, mentale et physique, des ouvriers.
La première idée que j'ai envie de traiter dans cet article concerne le nom du café où se saoulent les personnages. Ce café est appelé "L'Assommoir". Ce terme est composé du même radical que nous retrouvons dans le verbe "assommer" dont l'une des définitions est la suivante: "abrutir, accabler physiquement." Encore une fois, Zola me surprend avec certains détails ainsi que les liens qu'il crée des mots et des idées. En effet, l'alcool est une boisson qui accable, détruit la santé de la personne addicte, et surtout, abrutit: l'individu perd complètement la raison et devient bête ou dangereux. Ainsi, le choix du nom du café est pertinent, car il résume les conséquences désastreuses de l'alcool sur l'individu.
Le deuxième détail qui a attiré mon attention, concerne l'origine de l'handicap de Gervaise: elle boite d'une jambe. Selon l'auteur, quand l'héroïne était encore dans le ventre de sa mère, cette dernière était tellement battue par son mari qu'elle a mis au monde une boiteuse: "Si elle boitait un peu, elle tenait ça de la pauvre femme, que le père Macquart rouait de coups. Cent fois, celle-ci lui avait raconté les nuits où le père, rentrant soûl, se montrait d'une galanterie si brutale, qu'il lui cassait les membres; et sûrement, elle avait poussé une de ces nuits-là, avec sa jambe en retard." (Les Editions Le Livre de Poche; Page 86) J'ai trouvé cette idée très intéressante, car au lieu d'expliquer que, peut-être, l'accouchement a été difficile ou que la fille s'est blessée pendant son enfance, Zola a préféré rester fidèle à sa théorie en donnant à l'handicap une origine héréditaire.
A un certain passage, j'ai ressenti un petit pincement au coeur, car Gervaise paraît très optimiste et heureuse. Elle rêve d'une vieillesse paisible et tranquille: "Moi, après avoir trimé toute ma vie, je mourrais volontiers dans mon lit, chez moi." (Les Editions Le Livre de Poche; Page 89) Ah la malheureuse! Ces mots m'ont attristée et peinée car la protagoniste ne sait pas quel sort lui est réservé. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé à quel point nous pouvons être naïfs et trop optimistes, car nous oublions que ce dont nous rêvons pourrait ne jamais se réaliser. Nous faisons des projets, nous souhaitons des choses, nous nous imaginons dans un futur proche ou lointain sans penser à aucun moment que nous pouvons disparaître ou vivre différemment.
J'ai remarqué que le surnom de certains personnages renvoie à un trait physique, ou à un talent, qui les différencie des autres: "Bec-Salé"; "la Gueule-d'Or"; "Boit-sans-soif". Le dernier surnom est celui qui m'a le plus surprise, car il appartient à un homme qui boit de l'alcool sans limite. Ces différentes appellations montrent donc que ces personnages vivent dans un milieu social où seul le physique compte, ce qui est compréhensible. En effet, ces gens-là travaillent avec leur corps et non leur esprit (forgeron, prostituée, fleuriste, zingueur, blanchisseuse), et ne savent, ni lire, ni écrire. Par exemple, parmi les trois enfants de Gervaise, seul un garçon a réussi à intégrer une école car il a vécu dans une différente famille.
Le personnage auquel je me suis le plus attaché est celui de Lalie. Cette dernière a un père alcoolique qui la torture. Je souffrais quand je retrouvais cette fille à certaines pages. Après la mort de sa mère, la petite devait prendre soin de son frère et de sa soeur, qui sont plus jeunes qu'elle. J'ai tellement haï le père que je lui ai souhaité une mort lente et douloureuse. La boisson, ainsi que la misère, ont transformé cet homme en un monstre, dont la raison, conscience et sentiments humains ont totalement étaient effacés. J'ai envie de partager avec vous un passage qui m'a fait pleurer et que je n'oublierai jamais: "Ah! Seigneur! quelle misère et quelle pitié! Les pierres auraient pleuré. [...] Elle n'avait plus de chair, les os trouaient la peau. [...] La jambe droite montrait une déchirure mal fermée quelque mauvais coup rouvert chaque matin en trottant pour faire le ménage. [...] Oh! ce massacre de l'enfance, ces lourdes pattes d'homme écrasant cet amour de quiqui." (Les Editions Le Livre de Poche; Page 464)
Gervaise essayant de sauver Lalie des coups de fouet son père |
Goujet, également surnommé "la Gueule-d'Or", est l'un des rares ouvriers qui est sérieux dans son travail et ne boit pas. Au début, j'étais contente car je pensais que l'auteur n'allait pas le faire souffrir aussi. Mais bien sûr, je me suis trompée. Personne n'échappe à Zola. Chaque personnage doit avoir un défaut, ou connaître des moments difficiles. Et Goujet a eu la malchance de tomber amoureux d'une femme avec qui il ne pourra jamais vivre. J'ai beaucoup aimé ce personnage pour sa bonté et sa générosité. C'est un homme très musclé et très timide. Ces deux caractéristiques-là, qui paraissent incompatibles, le rendent unique.
Le père Bru est un autre personnage auquel je me suis attaché. Ce dernier, très âge, ne vit que de l'aumône car il ne peut plus travailler: "Il restait des journées sans bouger, sur un tas de paille. La faim ne le laissait même plus sortir. [...] Quand il ne reparaissait pas de trois ou quatre jours, les voisins poussaient sa porte, regardaient s'il n'était pas fini." (Les Editions Le Livre de Poche; Page 384) J'avais tellement pitié de cet homme, que j'aurais aimé l'aider. Le malheureux vit dans un trou, oublié et rejeté par tout le monde.
Si vous n'avez pas encore lu ce livre, qu'attendez-vous? Vous devez absolument découvrir ce chef-d'oeuvre. Plusieurs personnages, tels que Gervaise, Lalie et le père Bru vont vous marquer à vie. Les descriptions de Zola vous plongeront dans un monde, différent de celui représenté dans Son Excellence Eugène Rougon ou La Curée. Un monde où l'alcool et la nourriture occupent une place très importance et où l'argent est perçu tel une source vitale et non un symbole de pouvoir et de contrôle.
Bataille entre Gervaise et Virginie |
Commentaires
Enregistrer un commentaire