"La Faute de l'abbé Mouret" d'Emile Zola

"La Faute de l'abbé Mouret" d'Emile Zola




PS: J'ai lu ce roman en format PDF que j'ai trouvé sur le site de la "Bibliothèque électronique du Québec".


Citation favorite (1): Parfois, en recevant à la face un souffle plus chaud, il levait les yeux de son livre, cherchant d'où lui venait cette caresse; mais son regard restait vague, perdu sans le voir, sur l'horizon enflammé, sur les lignes tordues de cette campagne de passion, séchée, pâmée au soleil, dans un vautrement de femme ardente et stérile.(Bibliothèque électronique du Québec; Page 62)

Citation favorite (2): "Le soleil s'attardait à nos pieds, avec un bon sourire ami nous disant au revoir. Le ciel pâlissait lentement. Je te racontais en riant qu'il ôtait sa robe bleue, qu'il mettait sa robe noire à fleurs d'or, pour aller en soirée. Toi, tu guettais l'ombre, impatient d'être seul, sans le soleil qui nous gênait. Et ce n'était pas de la nuit qui venait, c'était une douceur discrète, une tendresse voilée, un coin de mystère, pareil à un de ces sentiers très sombres, sous les feuilles, dans lesquels on s'engage pour se cacher un moment, avec la certitude de retrouver, à l'autre bout, la joie du plein jour." (Bibliothèque électronique du Québec; Page 579)


Je pense que ce cinquième volume de la série des Rougon-Macquart est le plus beau que Zola ait jamais écrit. Ce livre regorge de magnifiques descriptions et les deux personnages principaux sont très attachants.
Serge Mouret vit dans le petit village des Artaud, loin de sa ville natale de Plassans. Il mène une vie paisible d'abbé et exprime une forte dévotion à la Vierge Marie: "Les livres de dévotion à la Vierge brûlaient entre ses mains. Ils lui parlaient une langue d'amour qui fumait comme un encens." (Bibliothèque électronique du Québec;Page 174) Il pratique ses rituels, tels que la messe, malgré le fait qu'aucun villageois n'assiste aux cérémonies religieuses. Les habitants des Artaud n'entrent presque jamais à l'église car ils consacrent tout leur temps aux travaux agricoles. Les deux seules personnes qui tiennent compagnie à l'abbé Mouret sont sa soeur Désirée, ainsi que la Teuse, une femme âgée et dévouée qui s'occupe des deux frères Mouret.
Un jour, le Docteur Pascal, oncle de l'abbé, demande à Serge de l'accompagner chez un vieux monsieur, surnommé "le philosophe", qui habite dans un vieux château. Ce monsieur est en fait un athée qui vit marginalisé car personne ne partage ses croyances et ses idéologies. J'ai trouvé le surnom de ce personnage très intéressant, et cela m'a poussée à me poser les questions suivantes: est-ce que la philosophie pose tellement de questions que la personne qui s'y intéresse change de religion? Ce vieux monsieur a-t-il été inspiré par un philosophe qui niait l'existence de Dieu? Serait-il le symbole d'un mouvement philosophique apparu à l'époque?
"Le philosophe" vit avec une nièce du nom d'Albine. Cette dernière passe tout son temps à se promener dans l'immense jardin du château. Et c'est dans ce lieu que Serge rencontrera la jeune fille pour la première fois. La manière avec laquelle Zola a décrit Albine, légèrement habillée et entourée de verdure et de fleurs, m'a rappelé la nymphe Chloris qui est la Déesse des fleurs dans la mythologie grecque.

Flore et Zéphyr, par William Bouguereau (1875)


Quelques temps après, l'abbé Mouret sera victime d'hallucinations qui conduiront à son évanouissement. Le Docteur Pascal l'emmènera alors au château, afin qu'il se repose et reprenne des forces. Albine s'occupera du malade et lui fera visiter son immense jardin. Les deux protagonistes s'aimeront de façon innocente et se promèneront chaque jour dans un coin du parc surnommé "le Paradou", mot qui se prononce presque de la même manière que le terme "paradis". Et je ne pense pas que Zola ait choisi ce surnom au hasard. En effet, le jardin est un paradis végétal qui se trouve sur terre. Serge et Albine s'y promènent tels Adam et Eve dans l'Eden. Tous les arbres et plantes s'y trouvent, et les fruits cueillis sont mûrs et sucrés. Une nouvelle fois, j'ai été ébahie par les incroyables descriptions de Zola, qui a pu nommer les divers éléments composant le jardin. Je voudrais partager avec vous un passage du livre qui m'a fortement marquée et que j'ai lu et relu à plusieurs reprises. Dans ce magnifique extrait, l'auteur décrit les différentes roses plantées dans "le Paradou" et compare leur couleur ainsi que leur manière de s'ouvrir et de bouger avec le vent à des gestes, des parties de corps ou de vêtements féminins: "Le blanc rose, à peine teinté d'une pointe de laque, neige d'un pied de vierge qui tâte l'eau d'une source; le rose pâle, plus discret que la blancheur chaude d'un genou entrevu, que la lueur dont un jeune bras éclaire une large manche; [...] le rose vif, fleurs en boutons de la gorge, fleurs à demi ouvertes des lèvres soufflant le parfum d'une haleine tiède. [...] Les une ne consentaient qu'à entrebâiller leur bouton, très timides, le coeur rougissant, pendant que d'autres, le corset délacé, pantelantes, grandes ouvertes, semblaient chiffonnées, folles de leur corps au point d'en mourir." (Bibliothèque électronique du Québec;Pages 287-288)
Tout comme les deux amoureux sont séparés du monde extérieur et protégés par la Nature mère, j'ai senti que les paragraphes dans lesquels sont décrits les deux héros sont écartés du reste du roman. C'est comme si une autre main a écrit les phrases. J'ai ressenti un changement dans le style d'écriture ainsi qu'un sentiment de quiétude et de bonté qui ressortait des mots. 
Serge et Albine pensent que personne ne les voit ou connait leur secret. Et en lisant leur histoire, je me suis sentie telle une étrangère qui les épie d'une longue fissure tracée sur l'un des hauts murs protégeant "le Paradou". D'un autre côté, j'ai été touchée par leur amour si simple et si innocent que j'avais envie de protéger les deux tourtereaux de tout ennemi extérieur. J'étais complice avec eux et j'ai ressenti qu'un lien fort m'unissait aux eux ainsi qu'à la nature qui les entoure: seuls nous trois connaissons le secret de leur relation interdite. De plus, l'histoire de Serge et Albine m'a rappelée celle de Silvère et de Miette, personnages du premier tome de la série, La Fortune des Rougon. Malheureusement, lorsque leur amour deviendra charnel, Serge se rappellera qu'il est abbé, quittera Albine et retournera vivre dans son église.
Le déterminant défini "la" présent dans le titre du livre m'a intriguée, comme si l'erreur est connue et qu'il n'est pas nécessaire de la nommer car aucune autre faute n'est aussi grave et fatale que celle commise par l'abbé et Albine. De plus, l'auteur a décidé d'attribuer l'erreur à Serge uniquement. Pourtant, les amoureux sont tous les deux fautifs: lui, est obligé de rester célibataire à vie, et elle, ne doit pas avoir de relation avec un abbé. Mais dans ce cas-là, la faute revient à Serge uniquement, car son habit et sa fonction ont une valeur très importante. En effet, Albine n'est qu'une humaine ordinaire dont les erreurs peuvent être effacées grâce à la prière et le repentir. Mais Serge est un homme de religion qui est perçu par les gens comme étant un homme parfait et proche de Dieu. Ainsi, la faute chez Serge est irréversible et impardonnable, car ses conséquences sont beaucoup trop lourdes.
J'aimerais tellement vous raconter la suite des événements et continuer mon analyse, mais je voudrais que vous lisiez ce livre. Si vous souhaitez entamer cette lecture, je vous conseille d'être patients car certaines descriptions, voire la majorité d'entre elles, sont très détaillées. Mais ces descriptions sont tellement jolies que vous serez emportés au "Paradou" et souhaiterez y vivre pour l'éternité.


Le jardin Albert Khan à Boulogne-Billancourt

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