"Un Toubib dans la Ville" de Souad Jamai

"Un Toubib dans la Ville" de Souad Jamai




Citation favorite (1): Je me demande aussi, si réellement cette jeune femme est ainsi vêtue par conviction religieuse ou pour une toute autre raison. J'ai toujours crié haut et fort que l'habit ne pouvait pas faire la religion. Étant moi-même musulman convaincu mais très tolérant et ouvert, je ne conçois la religion que comme un échange spirituel très intime, sans intermédiaire quelconque entre l'individu et Dieu et surtout sans hypocrisie externe. Réduire l'islam à cet habit peu attrayant, c'est dépouiller une grande religion de son sens le plus noble: s'ouvrir sur les autres, communiquer. Or, une femme qui porte le hijab intégral se coupe du monde extérieur, et surtout dissuade les autres d'entamer tout contact avec elle.(Les Éditions Afrique Orient; Pages 59-60) 

Citation favorite (2): "J'ai lu le même exemplaire de la même édition chez moi et je te propose qu'on le relise en même temps. Car tout livre est perçu autrement selon le contexte de lecture, les circonstances et les périodes de la vie.
-Je suis d'accord. On le redécouvrira donc ensemble." (Les Éditions Afrique Orient; Page 211)


Il s'agit du troisième livre de littérature marocaine que je lis cette année. Dès que je l'ai commencé, j'ai su qu'il deviendrait l'une de mes lectures favorites de 2017. L'écriture est simple, les personnages sont attachants, les situations sont comiques et surtout, l'auteure décrit la réalité telle qu'elle est.
Docteur Ali est un jeune médecin fraîchement diplômé. Il décide de revenir de France et s'installe dans sa ville natale au Maroc. A travers les patients qu'il reçoit, nous découvrons les différents profils qui composent la société marocaine. Chacun est dépeint de façon réaliste. En effet, au début de ma lecture je trouvais que l'auteure exagérait et essayait d'accentuer les défauts de ses protagonistes. Mais petit à petit, j'ai réalisé que je me suis trompée car je retrouvais presque en chaque personnage un membre de mon entourage ou simplement une connaissance:
-la femme venant d'un milieu social très moyen, qui vient chez le médecin après être passée chez tous les herboristes.
-le mari intégriste qui a trois femmes et une seule mutuelle. Donc à chaque fois qu'il veut soigner une de ses épouses, il garde le nom de la première.
-la jeune berbère très souriante et chaleureuse qui ramène avec elle un cadeau car le médecin a pu la soigner.
-la femme très sceptique qui cache sa vraie maladie pour voir si le médecin saura la détecter (n'oublions pas qu'elle a déjà consulté cinq autres médecins).
-le vieil homme très têtu qui consulte le médecin mais ne prend pas les médicaments prescrits (ou bien il les prend quand il veut)
Pour renforcer ce réalisme, l'auteure a également ajouté à ces écrits des expressions et des termes typiquement marocains qui m'ont fait sourire à plusieurs reprises: "-Je sais docteur, labsa mariou, [...] je porte une armoire d'habit sur mon dos" (Les Éditions Afrique Orient; Page 49); "ouldi, aji, aji!!" (Les Editions Afrique Orient; Page 67); "ya khiti [...] Mabrouk!! Mabrouk!!" (Les Editions Afrique Orient; Page 15)
Le seul personnage auquel je n'ai pas pu m'attacher est la mère du protagoniste. Mon dieu qu'est-ce qu'elle est exaspérante! C'est la vraie maman poule marocaine qui est fermée d'esprit, croit à toutes les superstitions, rêve de marier son fils à la fille d'une amie ou d'une soeur, critique tout le monde et surtout, elle doit connaître tous les secrets des gens et bien sûr, déformer l'histoire selon ses envies et son humeur. Bref, je vous laisse imaginer le nombre de fois que j'ai dû rouler les yeux tellement elle me fatiguait. Mais je me suis rappelée que presque toutes les mamans sont comme celle du Docteur Ali et que nous devons les aimer et accepter telles qu'elles sont malgré leurs défauts. Surtout, j'ai réalisé que ce n'est pas de leur faute si elles se comportent de telles manières. Elles ont grandi et vécu dans une société ou les préjugés, le regard des autres ainsi que les apparences ont une place importante.
A travers des situations burlesques, Souad Jamai aborde également des thèmes importants. Et depuis quelques temps, je me suis trouvée une passion pour les livres qui traitent de façon légère et drôle des sujets délicats. Un Toubib dans la Ville dévoile les obstacles et les problèmes que rencontrent les marocains au quotidien. Cela montre que Souad Jamai s'intéresse à diverses causes. Étant elle-même cardiologue, elle a su exposer les difficultés ainsi que les injustices auxquelles doivent faire face un médecin et un patient marocain. J'avais honte de lire les passages dans lesquels l'auteure décrit l'état des hôpitaux et des cliniques, parce que je savais que c'était la réalité et je ne pouvais pas détourner les yeux: "ils se mettent à trois pour sortir le lit grinçant de la chambre et se dirigent vers la réanimation [...]. Arrivés devant la réanimation ils s'arrêtent. La major prend le téléphone pour appeler quelqu'un. Je finis par comprendre que la réanimation est fermée à clefs et qu'aucun des trois n'a la clef en sa possession. [...] Je n'ose pas demander s'il est habituel que la réanimation soit fermée, je préfère rester discret et les faire oublier que je suis témoin de cette scène pitoyable." (Les Editions Afrique Orient; Page 186) On dit que le Maroc est un pays en voie de développement alors que la plupart de ses citoyens ne peuvent même pas être soignés correctement. Je ne vais pas vous mentir, mais il m'arrive souvent de ne pas finir, voire même d'ignorer, les videos que je reçois sur les réseaux sociaux. J'éprouve une immense peine lorsque je vois des personnes, qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts, manifester parce que le matériel est manquant et le personnel insuffisant ou absent. Et je ressens une forte haine envers ces politiciens et membres du gouvernement qui ne font rien. Plusieurs personnes trouvent drôle ces vieux parlementaires qui dorment pendant les réunions. Moi je trouve cela honteux. HONTEUX. Je me demande de quels moyens il faudra user pour ouvrir les yeux à ces gens, parce que le citoyen marocain n'en peut plus. Les marocains bougent, évoluent, commencent à connaître leurs droits. A travers des manifestations ainsi que des associations, ils montrent qu'ils sont conscients et refusent de continuer à subir des injustices.
Voila le genre de livres que j'aime et ne cesserai jamais de recommander. J'adore les livres qui vous poussent à réfléchir sur diverses causes, même si ces dernières ne sont pas citées ou défendues de façon directe. Un Toubib dans la Ville est un roman que vous devez absolument lire, surtout si vous êtes marocain ou marocaine. Vous allez vous sentir chez vous, entourés de protagonistes qui vous rappelleront telle ou telle personne, et vous allez retrouver des mots ou expressions que vous entendez souvent.



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